NOCES DE CRISTAL DE L’HEMU ET DU 2.21
vu et entendu par Esther Goodman
Au Théâtre 2.21, le 21 mars dernier, s’est tenue une double soirée instrumentale et vocale intitulée « Comme à l’opéra ». Ce concert-spectacle célébrait les quinze ans de collaboration entre le Théâtre 2.21 et l’HEMU.
Trois compositeurs étaient à l'honneur : Sébastien Roux, Francesco Filidei et Tom Johnson. Revenons sur les temps forts de cet événement.
Dès notre arrivée dans la cour de l’Industrie 10, nous sommes plongé·es dans un lieu intimiste et chaleureux. Les deux parties du concert se déroulent dans deux salles à l'atmosphère différente. Dans la première pièce, « Canons sur partitions graphiques » de Sébastien Roux, des formes géométriques intercédées par six axes de couleurs différentes sont projetées en arrière-scène. Chaque couleur correspond à l’un·e des six instrumentistes-interprètes (basson, saxophone, clarinette, cor, violon, percussion) qui doit jouer lorsque sa couleur heurte la figure géométrique, évoquant un jeu vidéo.
L’Opera (forse) de Filidei ne laisse aucun moment de répit au public qui se tord de rire. Une ouverture cacophonique en kazoo donne un registre burlesque, voire bouffon à l’histoire d’amour entre Abboccata, le poisson, et Batti becco, l’oiseau. Malheureusement, la mort sépare ce couple qui partait pourtant si bien, car Batti Becco finit en « frittura », un poisson pané !
La deuxième œuvre de Filidei « I Funerali dell’Anarchico Serantini » se développe dans des grognements, des sifflements et des frappements percussifs en crescendo. Les regards livides, noirs et lointains des interprètes font de cette œuvre un moment fort en émotion. « Nous ne voulons pas nous asseoir à votre table, nous voulons la renverser », annonçait le préambule. Par le rythme qui se resserre et l’ambiance lugubre qui s’en dégage, on sent vibrer l’âme d’un condamné à mort, comme celui que décrit Victor Hugo dans Le dernier jour d’un condamné.
La seconde partie de la soirée, dans une autre salle du 2.21, met en scène la Soprano, la Contralto, le Ténor et le Baryton qui sont accompagné·es au piano par Nataliya Nikolskaya. Il s'agit de l'Opéra de quatre notes de Tom Johnson. Le stéréotype du soprano aux cinq costumes qui traine à se changer, du chanteur loupant son entrée par manque de rigueur rythmique ou encore la tristesse démesurée du ténor n’ayant « qu’un seul air » sont accueillis par un public riant et enthousiaste. Le comique nait surtout du fait que le déroulement dramaturgique de l’œuvre se définit justement par l’absence de tout schéma actantiel et que le jeu des quatre chanteurs (et même de la pianiste !) met en valeur ce parti pris. On pense au théâtre de l’absurde de Samuel Beckett qui ressasse et philosophe à la fois. Gabriel Colin, le Ténor, salue avec enthousiasme la collaboration avec Pierre-Stéphane Meugé qui « était simplement idéal, efficace, à l’écoute des demandes des chanteurs, tout en laissant une grande place à leurs idées. »
Le cadre offert par le théâtre 2.21 est « parfait pour ce genre de production », qui aborde la musique contemporaine avec humour et émotion, selon Gabriel. Fêtons donc ces noces de cristal de l’HEMU et du 2.21, en espérant que cette relation continue à se développer !